Gâteau fouetté
Mémoire de première communion à Marie-Galante
Étoffe en soie et coton tissé avec impression cyanotype
230 x 54 cm
2023
Gâteau fouetté
Une image morcelée et imprimée évoquant un souvenir. Des fragments d’histoire brouillés,
des mémoires douloureuses que l’on oublierait presque, dispersées entre ces fils de soie délicats.
Pourtant, cette pièce tissée selon le patron d’un durag a un jour emprisonné le corps de la femme noire,
et protège aujourd’hui celui des hommes noirs.
Il est devenu gardien des mémoires,
Garant de la longévité des tresses, indispensable des waves.
Objet du quotidien,
qui raconterait tant s’il avait la parole.
À travers cette pièce, Tania met en lumière une série de souvenirs joyeux, à la fois familiaux et collectifs. Pourtant, cette première lecture se heurte à la forme même de l’étoffe : un patron de durag. Une forme qui évoque un accessoire qui tire ses racines de la loi Tignon, une loi de restriction promulguée en Louisiane en 1786, sous la domination espagnole, obligeant les femmes noires, qu’elles soient libres ou esclaves, à couvrir leurs cheveux avec un foulard afin de réduire leur attractivité et limiter leur visibilité dans l’espace public.
Ce tissu soyeux révèle la douceur de la nostalgie, en constante tension avec une colère sourde née de l’oppression des corps noirs.
Comment ce foulard imposé a-t-il pu, avec le temps, se transformer en durag, aujourd’hui protecteur des cheveux afro ?
Comment cet accessoire est-il devenu le gardien du corps spirituel et ancestral que représentent les cheveux ?
Photographie de famille représentant des proches de Tania, prise vers les années 1980 à Marie-Galante lors d’un rassemblement familial
Cette image est devenue le point de départ de la pièce teinte et tissée Gâteau Fouetté. La photographie a d’abord été frag- mentée puis imprimée sur les fils de chaîne (fils verticaux) du tissu. Ensuite, lors de la préparation du métier à tisser, les fils ont été tendus et déplacés, créant un second geste de dissimulation. Enfin, au fil du tissage, les fils de chaîne ont été cachés, révélés ou partiellement laissés visibles par les fils de trame (fils horizontaux) de soie blancs cassés, selon l’intuition de Tania, fil après fil.
La photographie incarne l’essence de la Marie-Galante des années 1980, petite île où est née la mère de l’artiste ; une terre paisible de champs de canne à sucre, autrefois connue pour son indigo à l’époque coloniale.
La scène capture un moment profondément ancré dans
de nombreuses vies afro-caribéennes : la célébration de la première communion d’un enfant, souvent accompagnée du traditionnel Gâteau Fouetté.
Ce souvenir sucré, tissé dans le tissu, contraste délicatement avec l’histoire que raconte aujourd’hui la forme du durag ; un objet qui ne contraint plus, mais enveloppe les cheveux de la douceur de la soie.
Sous cette soie douce,
les cheveux sont protégés,
la mémoire de la lignée est préservée.
Les cheveux sont perçus comme une preuve tangible de l’existence de toute la lignée, portant dans chaque boucle l’ADN. Leur croissance témoigne de chaque instant de nos vies, et une telle puissance réside en eux que la mère de Tania lui répétait toujours quand elle était enfant, de ne jamais laisser quiconque toucher ses cheveux. Ce souvenir résonne dans la vie de nombreuses petites filles afro-caribéennes, coiffées par leur mère de trois ou six tresses les matins avant d’aller à l’école.
Le choix de la soie, matière naturelle et délicate pour protéger les cheveux, contraste avec les matériaux synthétiques habituellement utilisés pour fabriquer les durags que l’on trouve dans les magasins spécialisés. Pour Tania, il était essentiel d’employer une matière précieuse et respectueuse, afin de protéger et d’honorer la mémoire contenue dans chaque mèche, la mémoire de la lignée.
Crédits photos: Deniz Bedir (1ère photo de Gâteau fouetté) et Tania Arancia.