Écriture
Un kintsugi culturel: madras et territoires composites
2023
À chaque fois que le besoin de comprendre la complexité de mon identité guadeloupéenne se fait sentir, je reviens à ce texte intitulé Un kintsugi culturel: madras et territoires composites. Je l’ai écrit entre 2022 et 2023, pour mon mémoire en Arts appliqués, sur la manière dont l’histoire d’un peuple s’exprime à travers le textile qu’il choisit (ou qu’on lui impose) comme emblème.
Dans mon cas, c’est le madras.
Bien qu’il n’ait jamais été fabriqué en Guadeloupe ni même dans la Caraïbe jusqu’à aujourd’hui, aucun autre textile ne raconte aussi bien l’histoire de mon peuple. Une histoire multiculturelle, tissée de déplacements, de résistances et d’inventions.
Mais le madras ne me plaît pas toujours.
J’ai des reproches à lui faire; ou plutôt à l’usage qui en a été fait.
Il a été folklorisé, exotisé, instrumentalisé. Il a parfois servi à masquer la violence de sa propre origine. Et pourtant, il expose notre réalité : nos victoires, nos contradictions, nos fragments visibles et assumés.
Pendant longtemps, j’ai essayé de me retrouver entièrement dans la notion de « créolité ». Elle m’a permis de reconnaître chaque identité qui me constitue; toutes légitimes, sans pourcentage à calculer. Mais lorsque cette créolité s’éloigne de son histoire coloniale pour se fondre dans une idée de métissage mondialisé, lisse, “heureux”… je décroche.
Je refuse d’être réduite à un symbole harmonieux de la mondialisation, alors que mon histoire commence par un arrachement.
L’histoire de mon peuple ne s’est pas écrite par choix, mais notre façon de la prolonger, si.
Je ne viens pas “accepter” la violence coloniale qui nous a façonnés. Je viens affirmer que nous existons au-delà d’elle et que nous continuons à nous raconter selon nos propres termes.
Je ne pourrai jamais accepter le non-choix de l’esclavage et de la déportation en tant qu’afro descendante. On ne peut pas demander à un peuple d’embrasser la violence qui lui a donné naissance. Mais je peux créer avec ce qui reste.
Avec les silences.
Avec les manques.
Avec les mémoires qui survivent malgré tout, en filigrane.
C’est pour cela que, dans cette première partie de mon cheminement artistique, mon travail s’est concentré sur l’archivage des mémoires familiales, intimement liées à mon territoire guadeloupéen. C’est dans le textile que je trouve des réponses. C’est par lui que s’invente un futur, malgré les blessures qui forment nos coutures.
Un kintsugi culturel.
Des fragments rassemblés.
Non pas pour les effacer,
mais pour témoigner de tout ce qui nous a tenus debout.
Ce que j’ai théorisé hier, je le vis aujourd’hui avec d’autres mots.
Couverture de Tentative(s) de résurgence, mémoire de diplôme, Tania Arancia, 2023.
Mémoire encadré par Clément Rosenberg, Caroline Milon, Clio Voisin et Benoît Magdelaine.
Tentative(s) de résurgence, mémoire de diplôme R&D textile, Tania Arancia, 2023.